Questions/réponses : une employée humanitaire transforme son handicap en atout

Articles d'actualité, 30 novembre 2007

© HCR/A.Mahecic
Safak Pavey, chargée des affaires publiques de l'UNHCR.

GENEVE, 30 novembre (UNHCR) L'agence des Nations Unies pour les réfugiés va célébrer la Journée internationale des personnes handicapées lundi avec un débat organisé à Genève sur le rôle de l'UNHCR dans le domaine des droits des personnes handicapées. Parmi les participants figure Safak Pavey, 30 ans, chargée d'affaires publiques pour l'UNHCR. Safak Pavey est devenue lourdement handicapée il y a 10 ans, alors qu'elle était étudiante en art en Suisse. Cela n'a pas empêché cette travailleuse humanitaire enthousiaste, originaire d'Istanbul, de mener une vie active, normale et bien remplie. Elle s'est entretenue avec Leo Dobbs et Haude Morel, les rédacteurs des sites Internet de l'UNHCR.

Quel est votre travail à l'UNHCR ?

Je travaille au sein de la division des relations extérieures. Je suis en charge de la Distinction Nansen pour les réfugiés [remise chaque année à une personne ou à une organisation en reconnaissance des services exceptionnels qu'elle a rendus à la cause des réfugiés] et je produis des documents de sensibilisation pour le public. Je travaille pour l'UNHCR depuis quatre ans maintenant. J'ai commencé en tant que consultante pour les droits et l'éducation de l'enfant dans la région allant du Moyen-Orient à l'Afrique du Nord. Puis j'ai été nommée chargée des relations extérieures en Iran, un pays où sont menés à la fois des opérations pour les réfugiés afghans et iraquien, et des programmes de rapatriement.

Parlez-nous de votre handicap

C'était il y a 10 ans environ. J'ai eu un accident de train dans la gare de Zurich et j'ai perdu mon bras gauche et ma jambe gauche. Depuis lors, j'utilise des prothèses et des fauteuils roulants. J'ai entamé une procédure contre la Suisse [devant la Cour européenne des droits de l'homme à Strasbourg], alors je ne peux pas en dire plus.

Comment cet accident a-t-il changé votre vie ?

Je peux dire qu'il a entraîné des difficultés spécifiques, mais en même temps, ça a été une expérience très enrichissante. Cela a sans doute contribué à mon empathie envers le monde et les autres gens. Je le vois comme un avantage et une force maintenant, pas comme un désavantage.

Comment se passe votre travail sur le terrain ? Avez-vous eu des problèmes ?

Oui, vous avez des problèmes. Du plus développé au moins avancé des pays, vous devez faire face à différentes difficultés dans votre vie quotidienne, y compris des attitudes désagréables vis-à-vis du handicap. Dans certains endroits, vous pouvez être considéré comme coupable et indigne, comme une personne qui doit rester cachée et enfermée. Dans d'autres, vous faites principalement face à des problèmes d'accessibilité et de mobilité.

Cependant mon handicap a eu aussi un effet positif sur ma relation avec les réfugiés.... Il vous offre différentes façons de communiquer avec les gens. Parfois les réfugiés rencontrent des difficultés pour parler de problèmes difficiles et ils choisissent d'en parler avec vous, même si ce n'est pas votre domaine d'expertise. Il apporte une façon différente de communiquer et je crois que les employés handicapés sont doués d'une sensibilité particulière envers les problèmes rencontrés par les personnes vulnérables.

Avez-vous eu des problèmes particuliers en Iran ?

Beaucoup oui, tout spécialement lors des contrôles de sécurité aux aéroports ... comme tous les employés humanitaires et les diplomates ... mais avec moi, il y avait une double excuse pour être difficile.

J'ai été harcelée par les employés de la sécurité. L'une de mes jambes m'a été prise. J'ai été stoppée à l'aéroport de Bushehr [dans le sud-ouest de l'Iran], qui est une région très sensible, après être revenue de visites des camps de réfugiés iraquiens. Ils ont pris mon passeport et m'ont dit qu'ils ne me laisseraient pas prendre l'avion si je n'enlevais pas ma jambe.... Cela a été très, très difficile, je dois dire. J'ai compté 21 incidents très sérieux.

Mais à part mes propres expériences, ce qui m'a affectée le plus c'était que la sensibilisation [sur les handicapés] n'existait pas dans un pays qui a connu la guerre Iran-Iraq, qui a fait des millions de personnes handicapées.

Retourneriez-vous sur le terrain ?

Bien sûr, je retournerais sur le terrain. Je suis aussi allée à Tindouf en Algérie et j'ai travaillé pour l'UNHCR avec les réfugiés sahraouis. C'était aussi un environnement très difficile, mais je n'étais pas directement visée à cause de mon handicap. Je retournerais sur le terrain sur le champ.

Y a-t-il beaucoup d'employés porteurs de handicaps à l'UNHCR ?

Pas vraiment. J'ai été recrutée par une employée handicapée et j'ai été inspirée par elle. Mais nous avons maintenant un groupe de travail [visant à développer des politiques pour les handicapés] à DHRM [La division de la gestion des ressources humaines]. J'en fais partie, ainsi que des employés du service médical, de la protection, des chargés d'éthique et de diversité et des chargés des politiques en matière de ressources humaines de DHRM.

Au niveau du recrutement, un très petit nombre de handicapés sont embauchés. Je suis l'un d'entre eux. Concernant les employés qui sont devenus handicapés, notamment handicapé mental, à cause des risques liés à leur travail, je suis sûre qu'il y en a plein.

Mais je pense que ce n'est pas une bonne chose de donner aux handicapés un travail par charité. J'ai entendu dire que dans un pays, un employé a perdu son bras et alors le bureau a décidé de l'employer chauffeur. C'est possible de faire un tel travail avec des prothèses, mais je pense que nous devrions considérer de façon plus appropriée le développement de carrières des handicapés. Nous devrions utiliser cette main d'œuvre pour leurs compétences et non pour être charitables.

Je me souviens que, dans un pays, le ministère de la protection sociale avait embauché un handicapé pour le service de thé. Cette personne avait de gros problèmes de mobilité. J'ai appris plus tard qu'il était plus qualifié que le Ministre lui-même, mais parce qu'il était handicapé les gens lui avaient trouvé un emploi de subalterne car ils pensaient bien faire. Mais il avait un diplôme en sciences politiques et il aurait dû être embauché pour un poste correspondant à ses compétences. Je pense qu'il est important qu'on change la mentalité de charité.

Est-ce que l'UNHCR a des politiques spécifiques sur le handicap ?

Il y a des politiques qui font partie de notre code de conduite et des services de protection, mais il n'y a rien de global. Cependant, après des actions de pression de la part des employés, l'UNHCR a été influencé par l'esprit de la nouvelle convention des droits de l'homme [pour le droit des personnes handicapées, qui a été adoptée par l'Assemblée générale des Nations Unies en décembre 2006 et ouverte à la signature le 30 mars de cette année] pour créer un groupe de travail visant au développement de politiques à la fois pour les employés et les réfugiés handicapés. Cela va couvrir des principes importants, du recrutement et de la non-discrimination à l'accessibilité dans nos bâtiments, la protection et l'assistance.

Que se passe-t-il durant la Journée internationale des personnes handicapées ?

Nous pension que ce serait une bonne chose de commencer à parler de ces problèmes, au sein de l'organisation aussi.... C'est une journée des Nations Unies et cette année, le thème est « Un travail décent pour les personnes handicapées », ce qui est une parfaite opportunité pour commencer à défendre et à sensibiliser les personnes sur le besoin d'avoir davantage de collègues handicapés. Ou au moins de leur ouvrir des portes, de créer une étincelle dans l'esprit de nos collègues, de nos responsables. Et de parler de l'accessibilité dans notre bâtiment.

Le Professeur Gil Loescher [qui a perdu ses deux jambes en août 2003 dans l'attentat du siège des Nations Unies à Bagdad] sera présent pour un débat que nous organisons le 3 décembre. La Commission des Nations Unies pour les droits de l'homme va venir nous présenter la convention. Il y aura une commission de femmes, abordant les nouveaux projets pilotes que nous pourrions mener dans le contexte des femmes et des enfants réfugiés avec des handicaps. Nous voulons aussi parler de la campagne des 16 Jours d'Activisme contre la violence faite aux femmes, menée actuellement, car la convention souligne que les femmes handicapées sont exposées à de grandes violences. Des employés de Handicap International vont parler du conflit armé et des urgences.

Que souhaiteriez-vous dire à un recruteur de l'UNHCR sur les handicapés en recherche d'emploi ?

Leur handicap est sans aucun doute une qualité naturelle et positive car il apportera un grand nombre d'approches différentes dans de nombreuses situations. Ils créent, chaque minute, des solutions aux problèmes. La recherche de solution et la planification font partie intégrante de leur vie, ce sont des compétences naturelles. Pour moi, cela serait une chose positive.

Cela dépend aussi des qualifications de la personne. L'emploi doit correspondre aux compétences. Pour ma part, je penserais aussi que cette personne s'est probablement davantage investie dans ses études car le système d'éducation n'est pas adapté pour les handicapés.... Les personnes handicapées ont d'excellentes compétences dans les domaines de l'Internet. Je pourrais penser à tous ces aspects en étudiant une candidature.

En fin de compte, nous regarderions la diversité. La question est, voulons-nous vivre et travailler avec nos différences. Pour ma part, certainement.

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