• Taille du texte Taille normale du texte | Augmentez la taille du texte de 10% | Augmentez la taille du texte de 20% | Augmentez la taille du texte de 30%

Apatride en Afrique de l'Ouest

Articles d'actualité, 25 février 2015

Lisette, 20 ans, est née et a grandi en Côte d'Ivoire. Pour gagner sa vie, elle vend des graines de millet au marché local de Zuenoula. Mais sans documents d'identité pour prouver son lieu de naissance ou ses liens ancestraux avec le Burkina Faso, elle pourrait tout aussi bien être invisible. Dépourvue de nationalité et de nombreux droits fondamentaux de la personne, la vie est une lutte constante.

En Afrique de l'Ouest, au moins 750 000 personnes sont apatrides ou courent le risque de l'être. Mais il ne s'agit que d'une estimation. Le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) estime que les chiffres réels sont de loin supérieurs.

La vie quotidienne des apatrides peut être solitaire, douloureuse, et pleine d'embûches. Sans documents d'identité, vous ne pouvez pas vous inscrire dans une école, ouvrir un compte bancaire, acheter une propriété, avoir accès à des services de santé, ni vous marier légalement. Être apatride signifie que vous êtes plus exposé à la discrimination, à l'exploitation et à l'isolement. Aux yeux de la loi, vous n'existez pas.

Une conférence organisée par le HCR et la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) à Abidjan, la capitale économique de la Côte d'Ivoire, vise à prévenir, à réduire et au final à éliminer l'apatridie dans la région. Cette conférence s'inscrit dans le cadre d'une campagne internationale ambitieuse menée sur 10 ans visant à mettre un terme à l'apatridie.

Nous vous présentons quelques-uns des nombreux apatrides d'Afrique de l'Ouest qui ont enduré une vie entière d'embûches et de déception.

© HCR/H.Caux
Pascal, 72 ans, est apatride en Côte d'Ivoire. « Je peux être un bon cultivateur de café, de cacao et de riz, mais le fait de ne pas avoir de nationalité m'a confiné dans mon village et mes champs ».

Pascal

Pascal, 72 ans, regarde les champs d'okra qu'il cultive avec deux de ses 15 enfants, près de Saria au centre de la Côte d'Ivoire.

Né au Burkina Faso, il a déménagé en Côte d'Ivoire peu après l'accession à l'indépendance des deux pays en 1960, avec la première vague de travailleurs migrants, pour venir y travailler dans les champs de cacao. N'ayant jamais eu de certificat de naissance, ni aucune forme de document national, son seul document d'identité à l'époque était une carte de l'empire colonial de l'Afrique de l'Ouest française. Muni de ce document, il a essayé d'obtenir une carte consulaire du Burkina Faso, mais on lui a répondu qu'il devait présenter un document d'identification officiel.

Des décennies plus tard, Pascal n'a toujours pas de preuve de son identité et a peur de quitter son village de crainte d'être arrêté. « Je peux être un bon cultivateur de café, de cacao et de riz », dit-il, « mais le fait de ne pas avoir de nationalité m'a confiné dans mon village et mes champs ».

© HCR/H.Caux
Nana, 79 ans, était apatride depuis des décennies après avoir déménagé dans ce qui est à présent la Côte d'Ivoire dans les années 40. Elle a récemment obtenu une carte consulaire du Burkina Faso. Elle tient une photo de son mari défunt.

Nana

Nana, 79 ans, regarde tendrement le portrait de son mari défunt, El Haj Kabré Boureima, qui est décédé en 2013. Dans les années 40, le couple a quitté le Burkina Faso pour s'installer à Saria, au centre de la Côte d'Ivoire, avec la première vague de travail forcé pour travailler dans les champs de cacao de la région.

Aujourd'hui, plus de 90 pour cent des habitants de Saria sont originaires du Burkina Faso. La plupart possèdent une carte consulaire du Burkina Faso ou des documents ivoiriens. Mais cette situation est récente. Il n'y a pas si longtemps, la plupart de ces personnes n'avaient pas de preuve de documents nationaux et utilisaient leur certificat de naissance, lorsqu'elles en avaient, lors de leurs déplacements.

Sans papiers, de nombreuses personnes ont été victimes de discrimination au cours des crises politiques successives qui ont secoué la Côte d'Ivoire. Nana et son défunt mari ne pourront jamais rattraper ces années.

© HCR/H.Caux
Mohamed, 17 ans, a peur de quitter son village, car il craint d'être arrêté ou d'être condamné à une amende.

Mohamed

Mohamed, 17 ans, est assis devant sa maison dans le petit village de Saria, au centre de la Côte d'Ivoire. Il est né à Ouagadougou, Burkina Faso, de parents burkinabés qui sont décédés alors qu'il était très jeune. Le frère aîné de sa mère l'a emmené en Côte d'Ivoire peu après le décès de ses parents et il n'est jamais retourné dans son village natal depuis qu'il s'est installé à Saria.

Il n'avait pas été déclaré à la naissance et n'a pas de papiers pour prouver la nationalité burkinabée de ses parents. À présent, il s'est résigné à ne jamais quitter Saria faute de papiers d'identité.

« Lorsque j'ai essayé de me rendre dans des villes voisines pour vendre mes récoltes de cacao ou de café », explique-t-il, « des policiers ou des militaires m'ont arrêté et parfois ils m'ont forcé à payer 10 000 francs CFA [environ 20 $ US], la moitié de mon salaire annuel ».

© HCR/H.Caux
Rakiata et sa famille sont incapables de prouver leur nationalité. « La situation a été tellement difficile. Nous avons l'impression de ne pas exister ».

Rakiata

Rakiata a une cinquantaine d'années. Elle est assise avec son fils, sa fille et son petit-fils devant leur maison de Zuenoula, au centre de la Côte d'Ivoire. Ni elle, ni ses enfants n'ont de documents nationaux prouvant leurs liens ancestraux avec le Burkina Faso. Ils sont dès lors exposés à un risque élevé d'apatridie.

Cette absence de documents d'identité a rendu leur vie difficile. Rakiata n'a pas beaucoup d'autre choix que de travailler comme agricultrice de subsistance et de cultiver du riz, parce que sans papiers, elle ne peut pas se joindre à une coopérative agricole et ainsi augmenter sa production. Son fils aussi a été arrêté à maintes reprises aux points de contrôle, détenu et même battu, car il était incapable de prouver sa nationalité.

« La situation a été tellement difficile », explique Rakiata. « Nous avons l'impression de ne pas exister ».

© HCR/H.Caux
Adama, 32 ans, dit qu'il a été arrêté, détenu et même battu, parce qu'il n'a pas de papiers prouvant sa nationalité.

Adama

Faute de papiers, le fils de Rakiata, Adama, 32 ans, a été arrêté et détenu à plusieurs occasions. Il se souvient d'un incident mémorable en particulier alors qu'il voyageait de Zuenoula, au centre de la Côte d'Ivoire, vers la capitale administrative du pays, Yamoussoukro.

« En 2003, j'ai été arrêté à un barrage routier », se souvient-il. « Comme je n'ai pas été en mesure de prouver mon identité, j'ai dû payer 2 000 francs CFA [soit 4 $ US] et j'ai ensuite été emmené dans un camp militaire tout proche, où j'ai été forcé de nettoyer la cour et ses alentours ».

Les soldats se sont impatientés lorsqu'ils ont découvert qu'Adama n'avait pas de papiers prouvant qu'il était né en Côte d'Ivoire. Il explique qu'ils l'ont battu avant de finalement le relâcher contre de l'argent. Même aujourd'hui, il est toujours arrêté régulièrement aux points de contrôle lorsqu'il se rend au marché et est souvent forcé de payer entre 500 et 1 000 francs CFA entre 1 et 2 $ US.

© HCR/H.Caux
Il a fallu des années à Oumarou, âgé à présent de 50 ans, pour obtenir la nationalité ivoirienne. « Je suis très heureux maintenant », explique-t-il. « Mais, je n'oublierai pas les années où je n'étais reconnu nulle part ».

Oumarou

Oumarou, 50 ans, est né à Tenkodogo, au centre de la Côte d'Ivoire, de parents burkinabés. Après avoir obtenu son diplôme de l'école primaire en 1984, il a essayé de s'inscrire à l'école secondaire, mais on lui a dit qu'il ne serait pas accepté sans une carte d'identité nationale.

Il est parti au Burkina Faso dans l'espoir que sa carte consulaire du Burkina Faso serait une preuve suffisante de nationalité. Là encore, sa demande a été rejetée. Ce n'est que lorsqu'un ami est intervenu en son nom qu'il a été en mesure d'obtenir un certificat de nationalité burkinabée et de poursuivre ses études.

À son retour en Côte d'Ivoire en 1990, Oumarou a fait une demande pour obtenir la citoyenneté ivoirienne, qu'il a finalement obtenue cinq ans plus tard.

« Je suis très heureux maintenant, et avoir la citoyenneté ivoirienne ici en Côte d'Ivoire a rendu ma vie bien plus facile », explique-t-il. « Mais, je n'oublierai pas les années où je n'étais reconnu nulle part ».

© HCR/H.Caux
Abou, 24 ans, est un ancien enfant des rues qui a obtenu un certificat de naissance avec l'aide d'un organisme d'aide.

Abou

Ancien enfant des rues, Abou, 24 ans, montre fièrement sa carte d'identité sénégalaise. « Le chemin a été long pour que je me sente enfin plus en paix et en sécurité », explique-t-il.

N'ayant jamais été reconnu à la naissance, Abou n'avait que six ans lorsque sa famille l'a envoyé à la daara [école coranique] près de Saint-Louis, dans le nord du Sénégal. Mais après des années de mauvais traitement et de travaux épuisants dans les champs agricoles, Abou s'est finalement échappé. Il a alors passé des années dans les rues de Dakar, dormant dans la rue la nuit et mendiant de l'argent la journée.

« J'ai failli mourir de la tuberculose », ajoute-t-il. « Après des années dans les rues, j'ai eu la chance d'être trouvé par un organisme d'aide qui a pris soin de moi. Ils m'ont également aidé à obtenir un certificat de naissance tardif et ensuite des papiers d'identité ». Artiste de talent, Abou donne à présent des cours de poterie aux jeunes garçons des rues.

• FAITES UN DON •

 

• COMMENT NOUS AIDER • • RESTEZ INFORMÉS •

Les apatrides

Des millions d'apatrides sont pris au piège dans un vide juridique, avec des droits fondamentaux limités.

Les Conventions des Nations Unies sur l'apatridie

La Convention de 1954 relative au statut des apatrides et la Convention de 1961 sur la réduction des cas d'apatridie constituent des instruments juridiques essentiels pour la protection des apatrides dans le monde et pour la prévention et la réduction des cas d'apatridie.

#IBELONG

IBELONG
Signez notre lettre ouverte pour mettre fin à l'apatridie.

À la frontière : bloqués à Saloum

Suite à l'éclatement de violence en Libye au mois de février 2011, des dizaines de milliers de personnes ont afflué en Égypte, au poste frontalier de Saloum. Si la plupart d'entre eux étaient égyptiens, près de 40 000 ressortissants de pays tiers se sont également présentés à la frontière où ils ont dû attendre leur rapatriement. Aujourd'hui, alors que cela fait déjà plusieurs mois que l'actualité sur cette région ne fait plus la une, plus de 2 000 personnes y vivent toujours. Composé principalement de jeunes Soudanais célibataires, ce groupe compte également des femmes, des enfants, des malades et des personnes âgées, qui attendent qu'une solution leur soit trouvée. Même si la vaste majorité d'entre eux seront sans doute réinstallés dans des pays tiers, cela ne sera ni le cas de ceux arrivés après octobre ni de ceux qui se sont vu refuser le statut de réfugié. Du côté égyptien de la frontière, les conditions de vie sont difficiles. Un terrain a été choisi pour accueillir un nouveau camp. Travaillant en étroite collaboration avec les autorités frontalières, le HCR joue un rôle vital en apportant protection et assistance aux réfugiés.

À la frontière : bloqués à Saloum

L'apatridie au Bangladesh : Les Biharis

Le sort des Biharis, dont les ancêtres ont rejoint le Bangladesh depuis l'Inde suite à l'indépendance et à la partition du sous-continent indien en 1947, est lié à la séparation du Bangladesh et du Pakistan. L'est du Pakistan est devenu l'Etat indépendant du Bangladesh en 1971. Alors que de nombreux Biharis ourdouphones ont été transférés au Pakistan, près de 300 000 autres sont restés au Bangladesh. Pendant de nombreuses années, leurs droits en tant que citoyens n'ont pas été reconnus. Un grand nombre d'entre eux vivaient dans des camps et des zones d'installation spontanées et, de ce fait, ils n'avaient qu'un accès limité à l'éducation et ils éprouvaient des difficultés à trouver du travail.

En 2008, une décision de principe de la Haute Cour bangladaise a accordé la citoyenneté bangladaise aux ourdouphones. Le gouvernement a accordé le droit de vote aux adultes juste à temps avant les élections générales de décembre 2008 et leur a délivré des cartes d'identité nationale. Aujourd'hui cette population demeure une minorité linguistique ayant besoin de logements décents et d'un meilleur accès à l'emploi.

On compte environ 12 millions d'apatrides à travers le monde. Ces individus sont pris au piège d'un vide juridique et bénéficient d'un accès limité aux droits fondamentaux.

L'apatridie au Bangladesh : Les Biharis

L'apatridie à Sri Lanka : les « Tamouls des collines »

À Sri Lanka, le pittoresque « pays des collines » est parsemé de centaines de plantations de thé. La plupart des gens qui y travaillent sont des descendants de Tamouls venus d'Inde entre 1820 et 1840, à l'époque où l'île était une colonie britannique. Les « Tamouls des collines » ont contribué, dans des proportions considérables, à la prospérité économique de Sri Lanka pendant près de deux siècles ; pourtant, jusqu'à une époque très récente, la législation draconienne du pays sur la nationalité rendait leur accession à la citoyenneté presque impossible. Dépourvus de papiers, ils ne pouvaient voter, travailler dans la fonction publique, ouvrir un compte en banque ou voyager librement.

Par le passé, les Tamouls des collines ont fait l'objet d'un certain nombre d'accords bilatéraux qui leur donnaient la possibilité d'opter pour la nationalité sri-lankaise ou la nationalité indienne. Cependant, selon les estimations, il y avait encore 300 000 apatrides d'origine indienne dans l'île en 2003.

La situation s'est très sensiblement améliorée lorsque le Parlement a voté, en octobre de la même année, une loi accordant la nationalité aux personnes d'origine indienne établies à Sri Lanka depuis 1964, ainsi qu'à leurs descendants. Le HCR, les pouvoirs publics et des organisations locales ont mené une campagne pour informer les Tamouls des collines de la publication de la loi et des démarches à accomplir pour acquérir la nationalité. À la fin de l'année 2003, plus de 190 000 apatrides ont obtenu la nationalité sri-lankaise en dix jours - une extraordinaire réussite, qui s'inscrit dans l'effort mené à l'échelle mondiale pour réduire les cas d'apatridie.

De plus, en 2009, le parlement a amendé la réglementation existante, afin d'accorder la nationalité aux personnes qui se sont réfugiées en Inde pour échapper au conflit qui sévissait à Sri Lanka et qui vivent actuellement dans des camps. Il est donc plus facile aux réfugiés de regagner leur pays s'ils le souhaitent.

L'apatridie à Sri Lanka : les « Tamouls des collines »