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Enterré vivant, il survit

Articles d'actualité, 27 mars 2015

L'histoire d'Ibrahim

© HCR/Hélène Caux
La cicatrice en forme de croissant sur la tête d'Ibrahim est un rappel bien concret du supplice qu'il a enduré.

Sarratou, 33 ans, n'oubliera jamais l'embuscade lancée par des dizaines d'hommes lourdement armés dans son village, qui est situé dans l'État de Borno au Nigeria. C'était un matin, à 10 heures, alors qu'elle se trouvait à la maison avec trois de ses quatre enfants. Tandis que les coups de feu retentissaient, ils se sont précipités sur la route pour parcourir à pied les 12 kilomètres les séparant de la frontière du Cameroun.

Au même moment, son mari et leur fils aîné de 10 ans, Ibrahim, conduisaient leur troupeau en bordure du village. Ils ont bien tenté de s'échapper, mais il leur a été impossible de fuir. « Mon mari s'est épuisé. À bout de souffle, il n'a pu continuer de courir, confie Sarratou. Boko Haram l'a rattrapé et lui a tranché la gorge, devant notre fils. »

Ibrahim s'est effondré sur le corps de son père en pleurant. Mais, quand il versait ses larmes, l'insurgé a saisi sa machette pour l'abattre sur sa tête. « Je me suis évanoui sous le coup, se rappelle Ibrahim. Puis, j'ai été incapable de bouger. Plus tard, je me suis traîné jusqu'à un arbre, pour trouver un peu d'ombre. Ils sont revenus, m'ont soulevé et m'ont cru mort. Ils m'ont jeté dans une fosse qu'ils ont creusée et m'ont recouvert de sable. »

Aujourd'hui, des mois après cet événement déchirant, une large cicatrice laboure le crâne d'Ibrahim comme un rappel bien concret de son supplice.

Lien vers la video "Enterré vivant, il survit" (en anglais)

Deux jours après l'agression meurtrière, la grand-mère d'Ibrahim et sa sœur de 13 ans, Larama, sont rentrées depuis la frontière pour les retrouver, lui et son père ?, tandis que Sarratou, souffrant de dépression et d'anxiété et ne pouvant plus manger, s'était retrouvée à l'hôpital après une grave crise d'hypertension. C'est en parcourant le village rasé que Larama a retrouvé son frère dans un buisson tout proche.

« Lasse, je me suis assise contre un arbre et là, j'ai remarqué un nuage de mouches. Sa voix tremble quand elle raconte « qu'il y avait là un humain. Seule une partie de la tête d'Ibrahim sortait du sol, se rappelle-t-elle. J'ai eu très peur. Mais, j'ai repris courage. J'ai tenté de lui parler, mais il ne faisait que hocher la tête. Je lui ai demandé s'il était le ?garçon?, parce que c'était le surnom de notre frère nous l'appelions le garçon. Il hocha la tête c'était bien lui! Il avait une blessure à la tête et des traces de sang partout sur le visage. »

« J'ai dit aux autres, il n'est pas mort il est bien en vie! »

Rassemblant ses forces, Larama a commencé à creuser pour sortir Ibrahim de la fosse et l'a hissé sur ses épaules pour le porter jusqu'au village. « J'étais très fatiguée, raconte-t-elle, mais il fallait que j'y parvienne à tout prix. Quand les gens nous ont aperçus, ils m'ont demandé où je le transportais. Je leur ai dit que je le ramenais à la maison. Mais pourquoi le ramener s'il est mort, se sont-ils exclamés. Parce qu'il n'est pas mort, leur ai-je répondu, il est bien en vie! »

© HCR/Hélène Caux
Ibrahim (à droite) se tient à côté de sa mère au camp de Minawao, Cameroun. « La vie n'est pas facile, confie la mère. Mes enfants ont perdu leur père, il faut aller collecter de l'eau, préparer la nourriture…. »

Ibrahim a été hospitalisé à Koza au Cameroun et il lui a fallu quatre mois et demi pour se rétablir. « Les médecins et les infirmières étaient tendres avec moi et la nourriture était bonne », nous a-t-il confié. Après son congé de l'hôpital, la famille a déménagé au camp de Minawao, qui est situé à 90 kilomètres de la frontière. Quelque 33 000 réfugiés du Nigéria vivent maintenant dans ce camp, qui a ouvert ses portes en juillet 2013.

De nombreux villages nigérians le long de la frontière ont été attaqués, incendiés et rasés ces derniers mois. Plusieurs survivants ont affirmé connaître certains des assaillants parce qu'ils faisaient partie des communautés villageoises et ils avaient rejoint les rangs des insurgés avant les attaques. Une réfugiée au Cameroun se désole : « mais que pouvions-nous faire? ».

© HCR/Hélène Caux
Ibrahim, 10 ans, est un survivant. Les insurgés ont tranché la gorge de son père devant lui, alors qu'ils tentaient d'échapper à l'attaque de leur village.

Au moins 1,2 million de personnes sont déplacées internes dans la région du nord-est du Nigéria depuis mai 2013, lorsque l'état d'urgence a été décrété dans les États d'Adamawa, de Borno et de Yobe. Plus de 100 000 personnes ont fui au Niger, tandis qu'au moins 74 000 autres ont trouvé refuge au Cameroun et que 18 000 personnes se sont rendues au Tchad. Des incursions meurtrières au Cameroun ont également déplacé 96 000 personnes, selon les autorités, et, parmi elles, on compte de nombreux bergers et agriculteurs.

« Nous savons qu'ils assassinent les hommes, enlèvent les femmes et les enfants et s'emparent du bétail. Nous avons donc pris la décision de quitter notre village et de nous éloigner de la frontière avant de subir le même sort, soutient Oumanou, 40 ans. Il y a trois mois, lui et 20 autres familles ont quitté leur village et marché pendant des jours jusqu'aux limites du village de Zamaï, où ils ont construit des huttes de paille et de bambou. Nous sommes désormais en sécurité mais, lorsque la saison des pluies commencera, nos maisons ne résisteront pas et seront inondées. »

© HCR/Hélène Caux
Ibrahim et sa soeur Larama, 13 ans, bavardent devant leur abri au camp de Minawao, Cameroun. « C'est moi qui l'ai déterré et qui l'ai porté sur mes épaules », rapporte Larama.

Comme Ibrahim et sa famille, tous les réfugiés du camp de Minawao ont connu la violence et l'exode. La peur a fait fuir les uns en grand nombre, tandis que les autres sont les survivants d'agressions physiques ou les témoins des violences extrêmes infligées à leur famille et leurs amis. Certains ont été enlevés.

Le besoin de soutien psychologique est énorme selon Jodin Obaker, psychologue à International Medical Corps qui dirige le centre de santé de Minawao. Au camp, toutefois, les ressources dans ce domaine sont limitées en raison du manque de financement et de personnel qualifié, mais aussi des barrières culturelles envers les problèmes de santé mentale.

« Les enfants en paient le prix », explique Jodin Obaker. « Certains s'isolent complètement et cessent de communiquer. Ils sont traumatisés par ce qu'ils ont traversé. »

© HCR/Hélène Caux
Larama et Ibrahim ont l'un pour l'autre un attachement qui va bien au-delà du lien familial. Elle lui a sauvé la vie après l'assaut brutal de leur village au nord-est du Nigéria.

Petit à petit, Ibrahim se remet de ses blessures. Même si sa mère affirme qu'il a beaucoup changé sa tristesse est palpable et sa démarche, claudicante le garçon a recommencé à sourire. Il fréquente l'école et il aime bien ses leçons d'anglais. Il joue au football avec sa grande sœur et son petit frère. « J'ai un grand ami », affirme-t-il fièrement. Seuls le temps et les soins arriveront peut-être à effacer complètement les cicatrices profondes et les souvenirs de l'agression qui le poursuivent encore.

Quelques mois après l'attaque, Sarratou est retournée dans l'État de Borno pour revoir sa maison. « Tout a été rasé », a-t-elle dit avec résignation. Certains villageois ayant aussi survécu lui ont raconté que les insurgés sont arrivés avec des bidons remplis d'essence qu'ils ont vidés sur toutes les maisons avant d'y mettre le feu.

« Nous ne retrouverons rien », se lamente-t-elle. « Les insurgés nous ont volé tout notre bétail : nous avions 7 vaches et 13 chèvres. Ici, au Cameroun, je peux nourrir et faire boire mes enfants. Ils fréquentent l'école. Nous avons un toit et nous sommes en sécurité. Il sera difficile de retourner au Nigéria. Maintenant ma maison est ici au camp. Nous n'allons pas quitter cet endroit de sitôt. »

Par Hélène Caux

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