Apatridie: rompre le cycle au Kirghizstan

Articles d'actualité, 26 août 2011

© HCR/A. Zhorobaev
Un employé d'une ONG travaille avec un fonctionnaire kirghiz dans le cadre d'une initiative soutenue par le HCR visant à traiter les demandes de passeport, de naturalisation, d'enregistrement et de papiers d'identité des apatrides.

OSH, Kirghizstan, 26 août (HCR) Ravshan et sa femme Feruza travaillent dans les champs du matin au soir, trimant 14 heures par jour sous un soleil de plomb, avec très peu de pauses pour manger ou se reposer. Leurs enfants et petits enfants travaillent dur à leurs côtés, plantant du maïs, des pommes de terre et des tomates. Leur rêve serait de posséder leur propre lopin de terre et un travail formel avec des journées plus courtes et une meilleure paie.

Mais depuis trois générations, cette famille n'a aucun droit car, sur le papier, ils n'existent pas. Ce couple, trois de leurs enfants et six de leurs petits enfants sont apatrides.

Cette situation subsiste bien que Ravshan, 59 ans, et Feruza, 57 ans, soient nés et aient vécu toute leur vie dans le village de Kashgar-Kyshtak, à 15 Kms environ de la ville de Osh au sud du Kirghizstan. Ils détiennent toujours leurs anciens passeports soviétiques rouges délivrés par un pays disloqué depuis 20 ans. Ils sont devenus apatrides parce qu'ils n'ont pas demandé de nouveaux papiers d'identité après l'indépendance du Kirghizstan en 1991.

Selon des études réalisées par l'agence des Nations Unies pour les réfugiés, plus de 17 000 personnes au Kirghizstan sont actuellement apatrides ou risquent de le devenir. La plupart d'entre elles vivent ici depuis plusieurs années, ont des liens familiaux étroits dans le pays et sont bien intégrées au plan culturel et social. Mais comme elles ne disposent pas de documents de citoyenneté, elles sont souvent dans l'incapacité d'enregistrer un mariage ou la naissance d'un enfant, de voyager à l'intérieur du Kirghizstan et à l'étranger, de bénéficier de pensions ou de prestations sociales, ou d'être propriétaires.

La majorité des apatrides en République du Kirghizstan sont des femmes ou des mineurs. L'absence de documents de citoyenneté accroit leur vulnérabilité et ils sont notamment soumis à l'exploitation et à des abus dans leurs familles et communautés.

Du fait de leur apatridie, Ravshan et Feruza ne peuvent pas bénéficier de leur pension de retraite bien qu'ils aient tous deux travaillé dans une ferme collective locale pendant plus de 20 ans. Feruza affirme que sa plus grande crainte est de tomber malade. L'accès aux soins de santé de base est limité pour les non citoyens et la famille ne peut pas se permettre de payer les frais élevés des soins hospitaliers.

Les enfants rencontrent des problèmes encore plus importants en raison de leur statut d'apatrides. Leur fils Shovkat, 34 ans, détenait également un passeport soviétique mais il l'a perdu il y a plusieurs années. « Je gagne 100 som (environ 2,5 dollars) par jour », déclare-t-il. « Je dois payer une amende pour le passeport perdu et d'autres frais pour obtenir de nouveaux documents, pour un montant total d'environ 3 000 som (environ 70 dollars). Pour obtenir un nouveau passeport kirghiz, je dois aller en ville plusieurs fois, payer le transport et manquer plusieurs jours de travail. Je n'ai pas beaucoup d'argent et je ne sais pas comment remplir tous ces papiers ».

Sa femme détient un passeport kirghiz mais comme Shovkat est apatride, leurs deux filles, âgées de un et quatre ans, n'ont pas de certificats de naissance et seront également apatrides. La famille ne bénéficie d'aucune prestation sociale pour les enfants car ils ne sont pas officiellement enregistrés. Les filles sont trop jeunes pour comprendre ce que l'apatridie signifie mais elles s'habituent à l'extrême pauvreté et à l'absence d'opportunités d'éducation ou d'avenir meilleur.

Shovkat travaille illégalement sur le marché dans le village voisin de Kara Suu. Il ne peut pas travailler aux champs comme sa famille car il a perdu un bout de bras lorsqu'il travaillait comme mécanicien dans un garage privé. L'absence de documents personnels et de passeport valable l'empêche de bénéficier d'une allocation mensuelle d'invalidité.

Son frère, âgé de 37 ans, détient aussi un passeport soviétique. Il affirme que sans carte d'identité valable il ne peut pas aller au-delà de son village. « J'aimerais aller travailler en Russie pour soutenir ma famille et mes parents, comme le font beaucoup de ressortissants kirghiz », dit-il. « Mais sans documents valables, je ne peux même pas rendre visite à mes proches à Osh ou Bishkek ».

Mubarak Sadykova est une activiste locale qui aide un partenaire non gouvernemental du HCR à identifier et aider les apatrides. « Rien que dans cette petite communauté, j'ai identifié environ 40 apatrides confrontés à des difficultés similaires à celles de Ravshan et de sa famille », déclare-t-elle.

Au plan international, le HCR s'est vu attribuer un mandat consistant à aider les gouvernements à prévenir l'apatridie, à résoudre les cas qui surviennent et à protéger les droits des apatrides. Au Kirghizstan, l'agence a financé des organisations de la société civile, fourni des conseils en matière de législation et de pratiques et apporté un soutien technique aux autorités chargées de résoudre les problèmes de citoyenneté.

Une partie de cette activité consiste à financer des cliniques mobiles gérées conjointement par le gouvernement et des ONG afin d'accompagner les apatrides et de les aider à devenir des citoyens kirghiz. Le HCR finance les véhicules, l'essence et des équipements pour permettre aux avocats de l'ONG locale d'aider Ravshan et des centaines d'autres familles à déposer des dossiers pour pouvoir échanger leurs vieux passeports soviétiques contre de nouveaux passeports kirghiz.

Depuis son indépendance, le Kirghizstan a adopté de nombreuses mesures positives pour réduire et prévenir l'apatridie. Sur les 20 000 réfugiés arrivés au Kirghizstan après avoir fui la guerre civile au Tadjikistan dans les années 1990, environ 10 000 se sont vu accorder la citoyenneté kirghize tandis que le reste a été rapatrié. Des milliers de personnes ont échangé leurs vieux passeports soviétiques contre de nouveaux passeports kirghiz et sont devenus des citoyens kirghiz. Mais de nouveaux apatrides font leur apparition au fur et à mesure que le HCR mène des activités d'accompagnement conjointement avec les autorités et les ONG.

En 2009, le HCR et le gouvernement du Kirghizstan ont adopté ensemble un Plan national pour la réduction et la prévention de l'apatridie. En juin de cette année, l'agence et ses partenaires de la société civile et le gouvernement se sont rencontrés pour discuter des progrès obtenus et réviser le plan national. Ils se sont mis d'accord pour réaliser une étude globale relative au volume et à la situation actuelle des apatrides et pour adopter des mesures visant à assurer que tous les enfants nés sur le territoire de la République kirghize se voient délivrer des certificats de naissance. Ils sont également convenus de lancer le processus d'adhésion de la République kirghize à la Convention de 1954 relative au statut des apatrides et à la Convention de 1961 sur la réduction des cas d'apatridie.

A l'occasion du 50ème anniversaire de la Convention de 1961 cette année, le HCR a lancé une campagne (ajouter le lien hypertexte) visant à encourager les Etats à devenir parties aux deux conventions sur l'apatridie. En décembre, l'agence organisera une réunion au niveau ministériel à Genève pour promouvoir les efforts internationaux visant à résoudre le problème de l'apatridie.

* Les noms ont été modifiés pour des raisons de protection.

Par Natalia Prokopchuk à Osh, Kirghizstan

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Les apatrides

Des millions d'apatrides sont pris au piège dans un vide juridique, avec des droits fondamentaux limités.

Les Conventions des Nations Unies sur l'apatridie

La Convention de 1954 relative au statut des apatrides et la Convention de 1961 sur la réduction des cas d'apatridie constituent des instruments juridiques essentiels pour la protection des apatrides dans le monde et pour la prévention et la réduction des cas d'apatridie.

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L'apatridie au Kirghizistan

Deux décennies après la désintégration de l'Union soviétique, des milliers de gens vivant dans d'anciennes Républiques soviétiques comme le Kirghizistan sont toujours confrontés à des problèmes de citoyenneté. Le HCR a recensé plus de 20 000 apatrides dans cette nation d'Asie centrale. Aucun pays ne reconnaît ces personnes comme ses ressortissants en vertu de sa législation. Si bon nombre d'entre eux relèvent en principe de la loi kirghize sur la citoyenneté, leur nationalité n'a pas été confirmée dans le cadre des procédures actuelles.

La plupart des apatrides vivant au Kirghizistan résident sur le territoire depuis de nombreuses années, ont de la famille proche dans le pays et sont bien intégrés, tant du point de vue social que culturel. Mais comme ils ne possèdent pas de documents d'identité, ils ne peuvent faire des choses que la plupart des gens tiennent pour acquises : remplir les formalités nécessaires pour se marier ou déclarer la naissance d'un enfant, voyager au Kirghizistan ou à l'étranger, toucher une pension de retraite ou des allocations sociales, ou encore posséder un bien. Ils sont plus exposés aux difficultés économiques, sont davantage touchés par le chômage et ne peuvent bénéficier pleinement du système public d'enseignement et de santé.

Depuis son accession à l'indépendance en 1991, le Kirghizistan a pris plusieurs mesures positives pour réduire et prévenir l'apatridie. En vertu de son mandat sur l'apatridie, le HCR prête son concours au pays, en dispensant des conseils sur la législation ou les pratiques, et en apportant une aide technique aux personnes chargées de résoudre les problèmes de citoyenneté. Les ONG partenaires de l'agence pour les réfugiés offrent une assistance juridique aux apatrides et les guident dans leurs démarches pour obtenir la nationalité.

Cependant, le problème de l'apatridie au Kirghizistan est complexe et des milliers de personnes, principalement des femmes et des enfants, se heurtent encore à des obstacles juridiques, administratifs et financiers lorsqu'elles cherchent à confirmer leur citoyenneté kirghize ou à obtenir la nationalité du pays. En 2009, avec le soutien du HCR, le gouvernement a adopté un plan d'action national pour prévenir et réduire l'apatridie. En 2011, l'organisation aidera les autorités à réviser le plan et à prendre des mesures concrètes pour le mettre en oeuvre. Tous les intervenants devront déployer un effort concerté, afin d'éviter que l'apatridie ne devienne un problème persistant, se transmettant de génération en génération.

L'apatridie au Kirghizistan

À la frontière : bloqués à Saloum

Suite à l'éclatement de violence en Libye au mois de février 2011, des dizaines de milliers de personnes ont afflué en Égypte, au poste frontalier de Saloum. Si la plupart d'entre eux étaient égyptiens, près de 40 000 ressortissants de pays tiers se sont également présentés à la frontière où ils ont dû attendre leur rapatriement. Aujourd'hui, alors que cela fait déjà plusieurs mois que l'actualité sur cette région ne fait plus la une, plus de 2 000 personnes y vivent toujours. Composé principalement de jeunes Soudanais célibataires, ce groupe compte également des femmes, des enfants, des malades et des personnes âgées, qui attendent qu'une solution leur soit trouvée. Même si la vaste majorité d'entre eux seront sans doute réinstallés dans des pays tiers, cela ne sera ni le cas de ceux arrivés après octobre ni de ceux qui se sont vu refuser le statut de réfugié. Du côté égyptien de la frontière, les conditions de vie sont difficiles. Un terrain a été choisi pour accueillir un nouveau camp. Travaillant en étroite collaboration avec les autorités frontalières, le HCR joue un rôle vital en apportant protection et assistance aux réfugiés.

À la frontière : bloqués à Saloum

L'apatridie à Sri Lanka : les « Tamouls des collines »

À Sri Lanka, le pittoresque « pays des collines » est parsemé de centaines de plantations de thé. La plupart des gens qui y travaillent sont des descendants de Tamouls venus d'Inde entre 1820 et 1840, à l'époque où l'île était une colonie britannique. Les « Tamouls des collines » ont contribué, dans des proportions considérables, à la prospérité économique de Sri Lanka pendant près de deux siècles ; pourtant, jusqu'à une époque très récente, la législation draconienne du pays sur la nationalité rendait leur accession à la citoyenneté presque impossible. Dépourvus de papiers, ils ne pouvaient voter, travailler dans la fonction publique, ouvrir un compte en banque ou voyager librement.

Par le passé, les Tamouls des collines ont fait l'objet d'un certain nombre d'accords bilatéraux qui leur donnaient la possibilité d'opter pour la nationalité sri-lankaise ou la nationalité indienne. Cependant, selon les estimations, il y avait encore 300 000 apatrides d'origine indienne dans l'île en 2003.

La situation s'est très sensiblement améliorée lorsque le Parlement a voté, en octobre de la même année, une loi accordant la nationalité aux personnes d'origine indienne établies à Sri Lanka depuis 1964, ainsi qu'à leurs descendants. Le HCR, les pouvoirs publics et des organisations locales ont mené une campagne pour informer les Tamouls des collines de la publication de la loi et des démarches à accomplir pour acquérir la nationalité. À la fin de l'année 2003, plus de 190 000 apatrides ont obtenu la nationalité sri-lankaise en dix jours - une extraordinaire réussite, qui s'inscrit dans l'effort mené à l'échelle mondiale pour réduire les cas d'apatridie.

De plus, en 2009, le parlement a amendé la réglementation existante, afin d'accorder la nationalité aux personnes qui se sont réfugiées en Inde pour échapper au conflit qui sévissait à Sri Lanka et qui vivent actuellement dans des camps. Il est donc plus facile aux réfugiés de regagner leur pays s'ils le souhaitent.

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Il y a un an, lors de l'éruption de violence au Kirghizistan, Saliya et sa famille se sont cachés dans la cave de leur maison durant trois jours, alors que les combats faisaient rage. Aujourd'hui la vie revient lentement à la normale.
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