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Le siège sous terre

Articles d'actualité, 10 mars 2015

Les bombardements en Ukraine ont poussé 1 000 habitants de Donetsk à vivre en sous-sol. Craignant de s'aventurer dehors, ils entretiennent un esprit de générosité.

Leurs récits :

© HCR/Andrew McConnell
Nikolai pleure sa mère dans une cave à Donetsk, en Ukraine.

Ce sont les habitants des caves. Dans le conflit qui s'enlise depuis près d'un an dans l'est de l'Ukraine, ils ont fui vers les sous-sols de leurs immeubles ou vers les caves creusées pour stocker leurs outils et leurs conserves de légumes. Ils sont au moins 1 000 à Donetsk et autour, abrités sous terre pour éviter les bombes qui tombent encore régulièrement.

Nous avons suivi Nikolai dans les entrailles du 82A de la rue Kozareva, en bas des escaliers, à droite, puis à gauche, à travers un labyrinthe gris de couloirs en briques et ciment éclairé par la lumière crue d'une ampoule. Nikolai a ouvert sa porte avec une clé et est entré dans une pièce carrée sombre, un lieu de souffrance et de deuil.

En juillet 2014, les bombardements se sont intensifiés. Nikolai et sa mère ont fui leur appartement en ruine situé à l'étage les fenêtres avaient toutes été soufflées vers la cave. Leur vie souterraine sous les bombardements a rendu sa mère littéralement paralysée par la peur. Elle a perdu l'usage de ses jambes. En octobre, il l'a remontée dans son lit, dans l'appartement. Elle a souffert pendant deux semaines puis, le 6 décembre, elle est décédée.

« C'est arrivé à cause du stress », affirme Nikolai. « Elle souffrait d'une maladie cardiaque et elle a probablement eu une attaque. J'ai appelé le médecin. Elle est venue et nous a dit de nous préparer à sa mort ».

© HCR/Andrew McConnell
Nikolai est assis dans le sous-sol de son immeuble dans le district de Kievsky, à Donetsk, en Ukraine, 10 semaines après le décès de sa mère. « C'est arrivé à cause du stress ».
© HCR/Andrew McConnell
Aleksey et Anna Rudik, tous deux âgés de 68 ans, habitent dans leur cave pour fuir les combats à proximité. « Quand ils bombardent, l'immeuble tremble », dit Anna. « Et nous tremblons ».

L'histoire de Nikolai est la plus triste parmi les 18 personnes qui vivent ici, dans leur village souterrain, mais d'autres comme le couple Alexei et Anna, et Oksana évoquent aussi la peur constante qui hante leur vie.

« Quand ils bombardent, l'immeuble tremble », dit Anna. « Et nous tremblons. Je prie Dieu ».

Quand on lui demande comment elle fait face, Oksana fond en larmes. « Je suis vraiment effrayée. J'ai peur de sortir, d'aller où que ce soit ».

Lien vers la video (en anglais)"Katia, 76 ans, dort désormais sur une vieille baignoire dans la cave de son immeuble à Donetsk" (HCR/Alexandre St-Denis)

Malheureusement, cette réaction est de plus en plus courante. Mais d'autres, comme Liuba et Katia, manifestent un stoïcisme que j'ai appris à connaitre en vivant dans cette région et en la visitant pendant plus de 30 ans.

Liuba sourit en me montrant la pièce avec quatre lits étroits où elle vit avec six autres personnes : trois couples et la grand-mère de Liuba. Liuba a eu deux crises cardiaques et une attaque.

« L'ambulance est venue quatre fois pour moi, mais je reviens toujours », dit-elle.

Katia est assise sur une vieille baignoire recouverte par une planche et un matelas tout fin. C'est son lit. Elle a 76 ans et elle a travaillé pendant 50 ans dans une usine d'asphalte, ramassant l'asphalte à la pelle et la répandant.

« Ce n'est pas confortable pour dormir, mais c'est mieux que dormir dans la rue », explique-t-elle. Elle reconnait qu'elle est résistante.

© HCR/Andrew McConnell
Oksana, 40 ans, s'est installée dans la cave de son immeuble à Donetsk, en Ukraine, quand les combats ont éclaté à proximité en juillet dernier. « Je suis vraiment effrayée. J'ai peur de sortir, d'aller où que ce soit ».
© HCR/Andrew McConnell
Oksana, 40 ans, et ses voisins respirent l'air frais après être restés dans la cave de leur immeuble dans le district de Kievsky, à Donetsk, en Ukraine.
© HCR/Andrew McConnell
Les habitants prennent l'air à l'extérieur de leur immeuble dans le district de Kievsky, à Donetsk, en Ukraine. Ils ont passé de longs moments dans la cave, pour se protéger contre les bombardements.

Ces personnes ont plus de chance que beaucoup d'autres qui vivent en sous-sol. Ils ont désormais l'électricité et le chauffage. Mais il leur a fallu travailler pendant un mois en vivant dans le noir nettoyer, tirer les lignes électriques, nettoyer les tuyaux des toilettes pour rendre le dédale de pièces vivable. Et, ils le disent tous, l'ambiance est conviviale. Les habitants s'entraident et partagent leur nourriture.

Quand les bombardements se calment, ils remontent pour voir la lumière et nettoyer leurs appartements endommagés, balayer les débris, accrocher des bâches plastiques sur les fenêtres cassées. Et, à l'automne, après avoir récolté les légumes plantés dans leurs petits lopins de terre, ils entreprennent de les mettre en conserve pour l'hiver. Ce processus a été souvent reporté ; ils ont dû fréquemment descendre en courant quand les fusillades reprenaient.

© HCR/Andrew McConnell
Katia est assise sur une baignoire recouverte par une planche et un matelas très fin dans une cave, à Donetsk, en Ukraine. « Ce n'est pas confortable pour dormir mais c'est mieux que dormir dans la rue ».
© HCR/Andrew McConnell
Liuba, 60 ans, met un linge sur des casseroles de nourriture posées sur un réchaud, dans une cave, dans le district de Kievsky, à Donetsk, en Ukraine. « L'ambulance est venue quatre fois pour moi, mais je reviens toujours».

Katia me montre fièrement ses étagères de légumes, puis insiste pour que je prenne un bocal de petits légumes conservés dans le vinaigre. Je proteste ; elle en a plus besoin que moi. « Non, non », dit-elle. « Et prenez ce bocal de tomates aussi ».

Nous nous préparons à partir. Tandis que nous remontons de la cave, Katia nous rattrape et me tend un grand bocal de framboises.

« Vous avez aussi besoin de quelque chose de sucré », dit-elle.

Pas seulement de la grâce, je pense, mais aussi de la générosité sous une immense pression.

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Déplacement, handicap et incertitude en Ukraine

A ce jour, environ 275 500 personnes sont déplacées internes à cause des combats en Ukraine. Parmi elles, certaines vivent avec un handicap comme Viktoria, 41 ans, et son mari Aleksandr, 40 ans, qui souffrent tous deux de paralysie cérébrale. La vie est déjà difficile dans des conditions normales pour ce couple qui a également deux garçons : Dima, 20 ans, et Ivan, 19 mois. Mais aujourd'hui c'est une véritable lutte.

Fin juillet, les bombardements sur la ville de Donetsk, à l'est de l'Ukraine, ont forcé Viktoria et Aleksandr à fuir vers la région voisine de Kharkiv. Peu après, les médicaments de Viktoria ont commencé à manquer. Recherchant désespérément de l'aide, Aleksandr a appelé la Fondation Rinat Akhmetov qui leur a trouvé un moyen de transport et un hébergement à Kharkiv.

De là-bas, ils ont été transférés au camp d'été de Promotei situé près de la ville de Kupiansk. La forêt, le grand air et le lac à proximité du camp leur ont offert un environnement parfait pour passer l'été. Mais, comme les 120 autres personnes déplacées à l'intérieur du pays (déplacés internes) vivant dans cet endroit, Viktoria et Aleksandr ne pensaient qu'à leur maison. Ils espéraient rentrer avant l'automne. Mais l'automne est vite arrivé et cette option s'éloigne.

Aujourd'hui, le retour à Donestsk n'est toujours pas sûr. En outre, le camp n'a pas été préparé pour l'hiver qui approche et l'administration a demandé aux personnes de partir d'ici le 15 octobre. Viktoria et Aleksandr ne savent pas où aller avec leur jeune fils. Les photos du couple et de leur plus jeune fils ci-dessous ont été prises par Emine Ziyatdinova.

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