Un camp se transforme en village
Articles d'actualité, 26 février 2015
Rédigé par Céline Schmitt
Le soleil se couche sur le camp de Lukwangulo au Katanga, en République démocratique du Congo, tandis que les femmes reviennent des champs et des puits. Sur leurs lèvres, une chanson traditionnelle et joyeuse. Sur leur tête, des feuilles de manioc. Ce soir, elles dormiront profondément – loin du son des balles.
Sakina, 50 ans et mère de huit enfants, est l'une des dirigeantes du camp, qui a été établi en octobre 2010 pour héberger des personnes qui avaient fui la violence et les conflits faisant rage sur le territoire de Fizi du Sud-Kivu. Ce camp accueille à présent près de 3 500 personnes déplacées. Beaucoup parmi elles espèrent y rester.
« Nous ne souhaitons pas rentrer », me dit Sakina. « Les femmes, les jeunes filles et les enfants qui sont ici ont été violés. Ils ne peuvent pas oublier et ils ont peur de rentrer chez eux. Les gens ont perdu leur vie là-bas. Certaines femmes sont veuves. Voilà pourquoi nous ne voulons pas rentrer chez nous ».
« Les femmes, les filles et les enfants qui sont ici ont été violés. Ils ne peuvent pas oublier et ils ont peur de rentrer chez eux »
Rachidi Mahonga dirige le comité des personnes déplacées internes à Lukwangulo. Il sait que la situation instable qui règne dans son pays laisse peu de choix aux personnes présentes dans le camp.
« La guerre n'est pas finie », dit-il. Il explique que certaines personnes ont essayé de rentrer dans leur village et leurs champs et elles ont vu que des groupes armés contrôlaient toujours la région. « Nous sommes des chasseurs. Nous savons quand des gens passent. Nous voyons les traces de leurs bottes ».
Afin d'aider des personnes qui souhaitent rester à Lukwangulo, le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) a ouvert des discussions avec les autorités locales. Le HCR et les autorités locales soutiennent cette idée.
« Je les ai accueillis, je leur ai donné des terres à cultiver », explique Kabwa Asumani, le chef du village de Lukwangulo âgé de 84 ans. « Vous voyez qu'ils ont construit des maisons sur les terrains que je leur ai donnés. Je n'ai pas encore jamais eu de problème avec eux. Tant qu'ils sont paisibles, je n'ai pas de problème avec eux. S'ils veulent rester, ils peuvent rester ici en paix. Je n'y vois pas d'inconvénient ».
« S'ils veulent rester, ils peuvent rester ici en paix. Je n'y vois pas d'inconvénient ».
Le chef Rachidi explique que les déplacés internes se sentent accueillis dans la région. « Nous avons été très bien reçus ici par le chef de la localité. Nous nous sentons bien et nous souhaitons rester ici ».
Ayant reçu le feu vert du chef et des autorités locales pour leur intégration locale, les résidents du camp de déplacés internes de Lukwangulo vont à présent commencer à transformer le camp en village. La première étape consiste à transformer leurs abris de bâches en plastique en maisons traditionnelles faites de briques de boue et de paille. Le HCR leur fournira des tôles pour les portes et les fenêtres.
Toutefois, construire plus d'abris permanents n'est pas la seule chose dont les personnes déplacées internes auront besoin pour s'établir à Lukwangulo. Elles ont également besoin d'un accès à l'éducation pour leurs enfants, aux soins de santé, à un approvisionnement en eau potable, et elles doivent pouvoir subvenir elles-mêmes à leurs besoins.
De retour au Sud-Kivu, de nombreux enfants n'ont pas eu accès à l'éducation. « Les enfants ne pouvaient pas se rendre à l'école à cause de l'insécurité », se souvient Rachidi. « C'était dangereux ».
« Les femmes enceintes qui se rendent au centre de santé pour accoucher mettent parfois leur bébé au monde sur la route ».
Le HCR collabore actuellement avec la Commission nationale pour les réfugiés et a demandé aux autorités locales de faire accréditer l'école du camp de Lukwangulo par le ministère de l'Éducation. Cette mesure permettrait de reconnaître officiellement les professeurs, qui pourraient alors être rémunérés par l'État.
Mais d'autres services essentiels manquent encore.
« Le centre de santé se trouve à cinq kilomètres », explique Sakina. « Les femmes enceintes qui se rendent au centre de santé pour accoucher mettent parfois leur bébé au monde sur la route. Si nous tombons malades pendant la nuit, c'est un gros problème. Nous n'avons pas non plus assez d'argent pour payer, même pour le carnet de santé qui coûte 2 800 francs [environ 3 dollars américains] et qui est utilisée par le personnel de santé pour garder une trace des consultations. Nous aimerions demander la construction d'un dispensaire à Lukwanguloé ».
Pour aider les personnes déplacées à devenir plus autosuffisantes et moins dépendantes de l'aide humanitaire, le HCR distribue des outils agricoles, comme des bêches, afin que ces personnes puissent cultiver les terres qui leur sont attribuées par le chef local.
Agnes Ntambwe est une enseignante de 52 ans. « Nous ne pouvons pas continuer à tendre la main pour être assistés », explique-t-elle. « Nous avons des mains pour travailler, mais nous avons besoin de semences et d'outils agricoles. Nous avons reçu des terres. Le chef du village a donné à chacun de nous une parcelle de terrain en fonction de sa force pour la cultiver. Mais en plus, nous aimerions également contribuer à développer d'autres activités générant des revenus, comme la boulangerie et la vente de vêtements ».
Sakina continue : « Pour prendre soin de nos familles, nous achetons des légumes et les vendons au marché qui se trouve à 12 kilomètres. Nous demandons s'il serait possible d'installer un marché ici. Pour le moment, nous vendons des bananes sur la parcelle d'un habitant du camp ».
« Nous ne pouvons pas continuer à tendre la main pour être assistés. Nous avons des mains pour travailler, mais nous avons besoin de semences et d'outils agricoles »
L'accès à l'eau potable et l'équipement en systèmes d'assainissement peut également être difficile. « Nous n'avons qu'un seul puits, même si nous sommes nombreux », explique Sakina. « Au cours de la saison sèche, nous sommes confrontés à une pénurie d'eau. Nous aimerions demander s'il est possible de creuser un ou deux puits supplémentaires ».
Rachidi ajoute que s'ils peuvent creuser des latrines, ils n'ont pas le matériel pour les recouvrir.
Malgré les nombreux défis, les résidents du camp de Lukwangulo sont unanimes : ils veulent rester. Et leur camp n'est pas le seul où des déplacés optent pour l'intégration locale. Les déplacés hébergés dans cinq autres camps situés au nord du Katanga ont exprimé le même souhait. Deux d'entre eux, dont Lukwangulo, ont d'ailleurs déjà reçu l'approbation des autorités locales.
« Même si nous vivons dans des conditions difficiles, nous continuons à vivre », dit Sakina. « Ici nous pouvons dormir la nuit. Là-bas [à Fizi], nous ne pouvions pas dormir à cause de l'insécurité ».
Autour d'elle, un groupe de quelque 50 déplacés confirment leur accord. « Nous resterons ici », l'une d'entre elles ajoute, « pour le reste de notre vie ».