Questions/Réponses : Le HCR et la migration mixte

Articles d'actualité, 14 décembre 2007

GENÈVE, Décembre 2007 (UNHCR) La Haut Commissaire assistante en charge de la protection Erika Feller et le chargé de l'information publique William Spindler évoquent les défis auxquels l'UNHCR doit faire face afin d'assurer la protection des réfugiés qui se déplacent dans le cadre de flux migratoires mixtes.

Pourquoi l'UNHCR s'intéresse aux flux migratoires ?

Il est très important que l'UNHCR joue un rôle dans la gestion des situations de migration mixte, telles qu'elles sont gérées par les Etats, car si nous ne le faisons pas, cette gestion se fera au détriment de la protection des réfugiés. L'expérience nous a montré que les migrations mixtes, impliquant des personnes qui se déplacent pour des raisons très diverses, ont tendance à être considérées comme un problème de migration plus particulièrement un problème de migration illégale et non comme une question qui inclut également des notions de protection et qui implique des personnes ayant des besoins de protection. Notre engagement a pour but de créer un espace pour une gestion plus globale de ce problème et pour la question de la protection. Le rôle de l'UNHCR consiste également à faire en sorte que les besoins soient identifiés, à permettre qu'une réponse aux besoins soit apportée à travers des solutions en terme de protection, et non par des mécanismes de contrôle des migrations.

La plupart des flux migratoires vont des pays pauvres vers des pays riches, même s'il y a aussi des migrations sud-sud. Les pays riches réagissent en érigeant des barrières. Comment l'UNHCR peut-il s'assurer que les véritables réfugiés ont accès à l'asile ?

Je pense que la tournure que vous avez choisie pour votre propre question est très importante. Il y a une perception erronée selon laquelle la migration mixte est seulement un problème sud-nord. Il s'agit autant, et de plus en plus, d'un problème sud-sud que d'un problème sud-nord. Généralement, les pays, qu'ils soient plus ou moins riches, ont tendance à répondre par des mécanismes de contrôle qui créent des obstacles pour franchir les frontières. Cela est dû non seulement au fait que nous vivons une ère de criminalité caractérisée, voire tétanisée, par une immense peur du terrorisme. Les Etats sont généralement très, très méfiants lorsqu'ils voient des personnes se présenter à leurs frontières et chercher à entrer sans papiers d'identité valides.

Le résultat, désiré ou non, consiste en une surabondance de contrôles mis en place pour maintenir les personnes hors des frontières, plutôt que de filtrer les entrées, de façon à ce que ceux qui devraient rester hors des frontières y restent et ceux qui devraient entrer pour des raisons de protection soient autorisés à le faire. Les efforts de l'UNHCR consistent à s'assurer que ces filtrages fonctionnent correctement, que les nouveaux arrivants soient traités de façon responsable et humaine. Notre travail consiste aussi à garantir que leurs besoins soient pris en compte et que les Etats acceptent les responsabilités appropriées relatives à ce groupe, notamment en respectant le principe de non-refoulement.

Le rôle de l'UNHCR est celui d'un catalyseur. Il est d'aider les Etats à mettre en ?uvre des réponses au phénomène de la migration mixte, tout en intégrant la notion de protection. Nous sommes également un acteur, dans la mesure où les Etats souhaitent que nous en soyons un. C'est dans ce contexte que nous avons élaboré le Plan d'Action en 10 Points. Ce Plan tente de définir les principaux domaines de gestion qui pourraient bénéficier de l'expertise et de l'expérience de l'UNHCR souvent sur la base d'un partenariat très large impliquant les Etats concernés et d'autres organisations internationales.

Que répondez-vous à ceux qui prétendent que l'UNHCR élargit son mandat ?

Je réponds à ces personnes qu'elles sont mal informées. Tout d'abord, ce que nous faisons dans ce domaine n'est pas nouveau. Depuis de nombreuses années, l'UNHCR ?uvre pour renforcer la capacité des Etats, qui mettent en place des dispositifs d'entrée intégrant l'impératif de protection et des outils de gestion de l'asile, tels que des procédures de détermination du statut de réfugié fonctionnant correctement. Il n'y a aucune formule magique dans ce que nous proposons en la matière. Ce que nous essayons de faire, c'est d'expliquer aux Etats la pertinence de ces interventions et la nécessité d'une gestion plus globale du problème, et pas seulement leur gestion de la composante asile du problème.

Le nombre de réfugiés est relativement stable actuellement. Nous avons vu une augmentation du nombre de réfugiés au cours des derniers mois, notamment à cause de situations comme l'Iraq. Il est donc inexact de penser que l'UNHCR s'efforce aussi de gagner de nouveaux « clients ». Nous avons suffisamment de bénéficiaires à prendre en charge, quand vous pensez que plus de 30 millions de personnes relèvent de la compétence de l'UNHCR et que nous ne disposons que d'un budget très serré pour les aider. Nous ne cherchons certainement pas à assister davantage de personnes ; nous tentons seulement de mettre en ?uvre de façon responsable un mandat obligatoire qui nous a été conféré par les Etats. Ce mandat exige que nous travaillions avec ces derniers pour que les besoins de protection des réfugiés et des autres personnes relevant de notre compétence soient traités dans un cadre qui respecte les responsabilités des Etats ainsi que les considérations de souveraineté et d'intérêt national.

Qu'en est-il des pays de transit comme la Turquie et certains pays nord-africains ?

Les pays de transit sont concernés, certainement malgré eux, par ce problème de migration illégale, et particulièrement par les migrations illégales vers l'Europe. Ils sont impliqués, en premier lieu, car beaucoup de personnes arrivent chez eux et sont dans l'impossibilité de poursuivre leur chemin. Si elles le continuent, toutefois elles sont souvent arrêtées et expulsées. Et, en fin de compte, ces pays se retrouvent à devoir gérer une partie du problème des migrations irrégulières sur leur propre territoire, non seulement en tant que pays de transit, mais également en tant que pays devant faire face à un problème qui est indépendant du fait que certains ne veulent pas rester sur leur sol. Et donc notre Plan d'Action en 10 Points s'applique aussi aux pays de transit lorsqu'il s'agit de leur gestion de ce problème comme il s'applique aux pays de destination de ce flux.

Quel type de réponse avez-vous reçu des pays concernant ce plan ?

Le Plan en 10 Points est aujourd'hui accueilli avec grand enthousiasme. Je suis heureuse de le dire. Lors de sa présentation, il avait été accueilli avec circonspection, particulièrement par les pays dont les migrants sont originaires. Leur problème, que je comprends bien, était que l'implication de l'UNHCR dans le problème des mouvements migratoires ne serve, sans le vouloir, à redéfinir cette question non plus comme étant un problème de mouvements migratoires, mais comme un problème de mouvement de réfugiés. Alors, évidemment, les pays d'origine des migrants s'inquiètent que les personnes qui quittent leur pays semblent le faire pour des raisons liées au fait d'être un réfugié plutôt que pour des raisons migratoires. Après les explications et la discussion qui ont suivi la présentation de ce Plan et son acceptation croissante par un certain nombre d'Etats ces réticences ont grandement diminué.

Bien sûr, des interrogations demeurent ... toutes les questions n'ont pas encore reçu de réponse, mais les craintes ont disparu chez ceux qui étaient inquiets, et l'enthousiasme a gagné ceux qui sont de toutes façons enclins à l'accepter comme une contribution de qualité en direction d'une gestion plus globale et internationale de ce problème.

Qu'attend l'UNHCR du Dialogue du Haut Commissaire sur les Défis de la Protection ?

J'espère que le résultat de ce Dialogue (à Genève les 11 et 12 décembre) sera une reconnaissance que le problème des migrations mixtes n'est pas quelque chose qui peut se gérer unilatéralement, ni même bilatéralement, mais un problème pour lequel une réponse multilatérale est essentielle. J'espère également que l'UNHCR sera reconnu comme un partenaire en la matière, un partenaire à valeur ajoutée, et non pas un facteur de complication. Et nous sommes l'un des nombreux partenaires qui doivent adhérer à cet effort multilatéral. Ce sera, je pense, une grande contribution à la gestion de la protection des réfugiés dans le cadre des migrations mixtes.

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Migration mixte

Les migrants diffèrent des réfugiés, mais ces deux populations voyagent parfois côte à côte.

Un adolescent en exil

Comme tous les pères avec leurs fils, Fewaz et Malak ont parfois du mal à coexister. Une nouvelle coupe de cheveux et une cigarette en cachette peuvent déjà créer des tensions dans le petit appartement qui est leur chez-soi. Malgré cela, un lien puissant les unit : ces réfugiés syriens ont été bloqués pendant près d'un an dans un quartier pauvre d'Athènes.

Ils avaient auparavant fui leur maison avec le reste de la famille durant l'été 2012, après que la guerre ait commencé à tourmenter leur paisible vie. Depuis la Turquie, ils avaient tenté plusieurs fois la traversée périlleuse pour entrer en Grèce.

Malak, treize ans, a été le premier à passer la frontière marquée par le fleuve Evros. Mais Fewaz, sa femme et leurs deux autres enfants n'ont pas eu cette chance en mer. Ils avaient remis toutes leurs économies d'une vie pour tenter la traversée périlleuse de la Méditerranée. Ils ont été refoulés par les gardes-côtes grecs.

Lors de leur sixième tentative, le reste de la famille a traversé la frontière et le fleuve Evros. Sa femme et ses deux enfants ont rejoint l'Allemagne, mais Fewaz est parti vers Athènes pour retrouver Malak.

«Quand j'ai enfin vu mon père à Athènes, les mots ne suffisent pas pour décrire ma joie », dit Malak. Cependant, l'adolescent était hanté par le fait de perdre à nouveau son père. « Je crains que mon père soit arrêté, que ferais-je sans lui ? »

Jusqu'au regroupement de la famille, Malak et son père restent ensemble et se serrent les coudes. Le garçon apprend à se débrouiller en grec. Et Fewaz commence à s'habituer à la coupe de cheveux de son fils.

Un adolescent en exil

Sauvetage en mer

L'été, avec son beau temps et une mer plus calme, est souvent le théâtre d'une hausse du nombre de personnes risquant leur vie pour traverser la Méditerranée et demander l'asile en Europe. Cette année, les chiffres ont toutefois augmenté dans une proportion stupéfiante. En juin, les opérations de recherche et de sauvetage Mare Nostrum ont permis de retrouver des passagers désespérés au nombre de plus de 750 par jour.

A la fin juin, le photographe du HCR Alfredo D'Amato est monté à bord du San Giorgio, un bâtiment prenant part au volet italien de l'opération navale, afin de recueillir des informations sur le processus de sauvetage - y compris depuis la première observation de bateaux à partir d'un hélicoptère militaire, le transfert des passagers vers de petits bateaux de sauvetage puis le vaisseau de la marine et, enfin, leur retour sur la terre ferme dans les Pouilles, en Italie.

Le 28 juin en l'espace de six heures seulement, l'équipage a porté secours à 1 171 personnes qui se trouvaient à bord de quatre embarcations surchargées. Plus de la moitié sont originaires de la Syrie déchirée par la guerre, avec, pour la plupart, des familles et de grands groupes. D'autres arrivent depuis l'Erythrée, le Soudan, le Pakistan, le Bangladesh, la Somalie et au-delà. Les photos de A. D'Amato et les interviews qui les accompagnent mettent en lumière la vie de ces personnes dont la situation, dans leur pays, était devenue précaire au point de mettre leur vie en péril.

Sauvetage en mer

L'histoire de Jihan

Comme des millions d'autres, Jihan, 34 ans, était prête à tout pour échapper à la guerre sévissant en Syrie et pour mettre sa famille en sécurité. Contrairement à la plupart, Jihan est aveugle.

Il y a neuf mois, elle a fui Damas avec Ashraf, son mari âgé de 35 ans, qui est également en train de perdre la vue. Avec leurs deux fils, ils se sont rendus en Turquie par la mer Méditerranée, à bord d'un bateau avec 40 autres personnes. Ils espéraient que le voyage ne durerait huit heures. Ils n'avaient aucune garantie d'arriver sains et saufs.

Après une périlleuse traversée qui aura duré 45 heures, la famille est enfin arrivée à Milos, une île grecque de la mer Egée, à des kilomètres de la destination qui était prévue. Sans aucun soutien ni aucune assistance, ils ont dû se débrouiller pour se rendre à Athènes.

La police les a détenus pendant quatre jours à leur arrivée. On leur a demandé de rester hors d'Athènes, ainsi que trois autres villes grecques, en les laissant à l'abandon.

Démunis et épuisés, la famille a été contrainte de se séparer. Ashraf est parti vers le nord en quête d'asile et Jihan s'est rendue à Lavrion avec ses deux enfants, une installation informelle à une heure de route de la capitale grecque.

Aujourd'hui, Jihan est impatiente de retrouver son mari qui, entre temps, a obtenu le statut de réfugié au Danemark. La chambre qu'elle partage avec ses deux fils, Ahmed, 5 ans, et Mohammad, 7 ans, est minuscule, et elle s'inquiète pour leur éducation. Sans greffe de la cornée, une chirurgie très complexe dont elle a besoin d'urgence, son oeil gauche se fermera à jamais.

« Nous sommes venus ici en quête d'une vie meilleure et pour trouver des personnes qui seraient plus à même de comprendre notre situation », explique-t-elle d'un air triste. « Je suis tellement en colère quand je vois qu'ils ne comprennent pas. »

L'histoire de Jihan