• Taille du texte Taille normale du texte | Augmentez la taille du texte de 10% | Augmentez la taille du texte de 20% | Augmentez la taille du texte de 30%

Conférence ministérielle régionale sur l'apatridie en Afrique de l'Ouest. Allocution de M. António Guterres, Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés. Abidjan, 25 février 2015

Discours du Haut Commissaire, 25 février 2015

Monsieur le Président,

Mesdames et Messieurs les Ministres,

Excellences,

Mesdames et Messieurs,

Permettez-moi tout d'abord d'adresser mes remerciements au Gouvernement de Côte d'Ivoire pour avoir accueilli cette conférence historique, la première du genre en Afrique. Au cours de ces dernières années, la Côte d'Ivoire a manifesté d'une manière extraordinaire son engagement dans la lutte contre l'apatridie, montrant ainsi l'exemple non seulement pour la région et le continent, mais également pour le monde. Je tiens à exprimer toute ma gratitude à Son Excellence le Président Alassane Ouattara pour son leadership et pour son engagement fort sur cette question.

Si la plupart prennent pour acquis le fait d'avoir une nationalité, pour ceux qui n'en ont pas, ou qui ne peuvent pas la prouver, il s'agit souvent d'une condamnation à une vie de discrimination, de frustration et de désespoir. Ce problème touche au moins 10 millions de personnes à travers le monde. Pire encore, un enfant naît apatride toutes les 10 minutes quelque part dans le monde.

Imaginez que, du jour au lendemain, vous vous retrouvez sans passeport, sans carte d'identité ou carte de crédit, sans permis de conduire, sans aucun moyen de prouver qui vous êtes. Imaginez que vous ne puissiez pas envoyer vos enfants à l'école ni vous soigner dans un hôpital. Il vous serait très difficile d'obtenir un emploi formel, de voyager, d'acheter une parcelle de terrain ou de participer à la vie de tous les jours dans votre communauté. Sur le plan juridique, vous seriez invisible, et lorsque vous mourriez, votre famille ne pourrait même pas obtenir un certificat de décès, exactement comme si vous n'aviez jamais existé.

À travers l'Afrique, il y a une prise de conscience accrue de l'importance du droit à la nationalité, avec le lancement, le mois dernier, d'une étude remarquable de la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples au Sommet de l'Union africaine. La région de la CEDEAO joue le rôle de pionnier à cet égard. Aucune autre sous-région d'Afrique n'a autant d'États parties aux deux Conventions des Nations Unies relatives à l'apatridie, avec sept pays ayant adhéré à ces conventions au cours des quatre dernières années. Lors de la réunion ministérielle de 2011 à Genève, les États de l'Afrique de l'Ouest sont ceux qui ont pris le plus grand nombre d'engagements relatifs à la nationalité et à la citoyenneté. Depuis, la Côte d'Ivoire et le Sénégal ont déjà entrepris de réformer leurs lois sur la nationalité.

Cet engagement ferme des pays de l'Afrique de l'Ouest témoigne d'une attention particulière quant à l'ampleur du problème dans la région. Certes, seules les données statistiques sur les 700 000 apatrides en Côte d'Ivoire sont disponibles, mais nous savons que dans la région le nombre réel est beaucoup plus élevé. L'identification des populations exposées au risque d'apatridie est donc une priorité à laquelle je l'espère les États vont s'atteler.

En Afrique de l'Ouest, l'apatridie a de nombreuses causes dont la plupart sont liées à l'absence de garanties juridiques dans les lois et aux divers obstacles administratifs à l'acquisition de preuve de nationalité. Plusieurs lois sur la citoyenneté ne prévoient pas le droit pour les femmes de transmettre leur nationalité à leurs enfants, ou restreignent l'accès à la nationalité en fonction de la race ou de l'ethnie. L'autre risque fondamental d'apatridie est lié à l'enregistrement d'actes d'état civil, et notamment le grand nombre d'enfants nés dans la région sans accès aux actes de naissance.

Excellences, Mesdames et Messieurs,

L'Afrique de l'Ouest est depuis toujours une région en mouvement, une région de migration et aussi une région d'accueil pour des populations déplacées. Le HCR, également mandaté pour la protection des réfugiés, est le témoin privilégié de cette tradition d'accueil. Il y a fréquemment un lien entre le déplacement forcé et l'apatridie, car les populations réfugiées en situation prolongée ne disposent souvent plus de documents sur leur nationalité, et alors que se prolonge leur exil, il leur devient difficile d'en apporter la preuve. Quand leur statut de réfugiés cesse, elles peuvent se retrouver à nouveau sans la protection de leurs pays d'origine, car elles ne peuvent établir leur nationalité.

Dans une région comme celle-ci, dont l'histoire et le quotidien sont profondément marqués par la mobilité humaine, protéger les populations pour qu'elles ne deviennent pas apatrides revêt une importance cruciale. La réforme des lois sur la nationalité et la mise en place de garanties juridiques permettant à tous les enfants d'avoir à la naissance le droit à la nationalité, sont essentielles pour assurer la pleine réalisation des valeurs et principes qui définissent la communauté des Etats de la CEDEAO.

Le droit à la nationalité est souvent décrit comme étant « le droit d'avoir des droits ». C'est une question essentielle à la sécurité humaine et à celle des États, en particulier alors que ces mêmes États, y compris dans la région, sont légitimement inquiets de pouvoir protéger leurs citoyens face à la montée des menaces à la sécurité. Lorsqu'elle est présente sur une grande échelle, l'apatridie peut même alimenter les conflits et les déplacements.

Peut être encore plus grave, priver des personnes de la nationalité constitue pour les pays une occasion manquée pour développement et prospérité. Veiller à ce que chacun puisse jouir de son droit d'appartenir à un État, permet aussi aux sociétés de s'appuyer sur l'énergie et les talents de centaines de milliers de personnes qui sont aujourd'hui marginalisées et exclues.

Pour toutes ces raisons, le HCR a récemment lancé, avec l'approbation de l'Assemblée générale et du Secrétaire général des Nations Unies, une campagne mondiale pour mettre fin à l'apatridie dans les 10 prochaines années. Il y a actuellement un fort élan international qui rend cet ambitieux objectif possible, et je compte sur l'appui solide des États membres de la CEDEAO pour nous aider à l'atteindre. Le Plan d'Action mondial du HCR pour mettre fin à l'apatridie est un élément central de la campagne et un guide pour les États dans cet effort. Je félicite le Bénin qui est le premier pays en Afrique et l'un des premiers dans le monde à adopter un plan d'action national. Des efforts similaires sont en cours au Mali, en Gambie et au Libéria, et le HCR se réjouit de soutenir de telles initiatives.

Au niveau de l'Afrique dans son ensemble, l'une des principales étapes de cette campagne serait l'adoption d'un Protocole à la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples portant sur la nationalité. Je souhaite très vivement que les États membres de la CEDEAO soutiennent la Commission africaine dans ses efforts à cet égard. Ce protocole mettrait une fois de plus en évidence la longue tradition africaine de solidarité qui sous-tend déjà le puissant cadre juridique de l'Union Africaine sur la protection, comme l'illustrent la Convention de l'OUA relative aux réfugiés de 1969 et la Convention de Kampala relative aux déplacés internes, qui ont ouvert de nouvelles perspectives de progrès au régime international de protection.

Je m'en voudrais de ne pas parler de l'importance du partenariat dans la lutte contre l'apatridie. Elle constitue un enjeu pluridisciplinaire nécessitant la mobilisation de toutes les parties prenantes. La participation à cette première conférence régionale de nombreux acteurs complémentaires témoigne de la mobilisation de toute la région aujourd'hui pour y travailler ensemble. Je remercie l'OIM et les agences sœurs du système des Nations Unies qui nous ont accompagnés dans l'organisation de cette conférence. Je salue la présence des commissions nationales des droits de l'homme, des universitaires et de la société civile, qui tous jouent un rôle essentiel dans cette campagne régionale d'éradication de l'apatridie.

L'Afrique de l'Ouest est connue à travers le monde pour la grande hospitalité de ses populations. Nous n'oublierons jamais la décision d'offrir la possibilité de l'intégration locale, dans le cadre du principe de la libre circulation de la CEDEAO, à des milliers d'anciens réfugiés ayant fui les conflits en Sierra Leone et au Libéria.

Aujourd'hui, l'engagement de la région à mettre fin à l'apatridie reflète le meilleur de cette tradition. Elle reconnaît qu'en définitive, le concept d'« appartenance » va au-delà des textes juridiques et des pièces d'identité, et nécessite la volonté politique de promouvoir la tolérance et l'acceptation de l'autre, et l'espace social et humain où tous les membres de la société peuvent être reconnus et auquel ils peuvent contribuer, et oui, appartenir.

La région de la CEDEAO a déjà manifesté à maintes reprises sa capacité et son courage en embrassant les réformes essentielles pour sa force et son progrès en tant que communauté d'États. Je n'ai aucun doute que, comme sur beaucoup d'autres questions, l'Afrique de l'Ouest fera preuve du leadership et de la vision nécessaires pour effectuer les progrès décisifs pour mettre fin à l'apatridie. Pour ma part, je puis vous assurer que le HCR fera tout son possible pour vous soutenir dans cet effort indispensable.

Je vous remercie beaucoup.

• FAITES UN DON •

 

• COMMENT NOUS AIDER • • RESTEZ INFORMÉS •